Il y a des lieux qui sont les lieux de certaines musiques. On y trouve les hommes, les scènes, le public, de l'officiel au plus souterrain. Manchester fut l'un de ces lieux, New York en fut un autre, il n'est qu'à réviser son histoire du rock pour s'en convaincre. Montréal en est également un à n'en pas douter, attaché depuis quelques années à l'idée de ce qu'il a été convenu d'appeler post-rock (tout en haussant les épaules, pour bien signifier que l'on n'est pas si naïf, que l'on sait bien que "post-rock" ne veut rien dire).
Que la renommé du label Constellation et, au sein même de ce label, de l'écrasante hégémonie de Godspeed You Black Emperor, ne biaise pas la perspective : il y a là-bas une authentique effervescence, l'évolution d'une scène riche et complexe, qui ne se laisse pas résumer à quelques noms vedettisés - et peut-être bien dévoyés.
Les nostalgiques d'une époque où tout le monde ne connaissait pas "leurs" post-groupes fétiches, ceux qu'énerve la popularisation de la référence, jusqu'aux colonnes de magazines qu'ils trouveront peut-être trop "grand public" à leur goût ; ceux qui auront avalé sans sourciller les compositions les plus experimentalo-indigestes et s'attendraient presque à les voir s'inviter dans l'un des hauts lieux du druckerisme dominical – ceux-là peuvent donc se rassurer, ils ont encore beaucoup de musique canadienne indépendante et méconnue à se mettre sous la dent.
Mais l'obscurité de ces formations – entendez : le fait qu'elles soient inconnues de ce "grand public" auquel le gourmet peut-être trop élitiste ne s'assimile pas – ne doit pas faire oublier qu'elles peuvent encore, éventuellement, avoir un véritable intérêt musical.
C'est cette scène montréalaise qu'a choisi de rejoindre .cut (prononcer : dot cut), projet solo d'un certain Albérick, né en 1992 avec un appétit d'association remarquable, qui l'aura amené à coopérer avec un grand nombre de musiciens venus du monde entier. Parmi ces coopérations, la plus stable est certainement celle qui l'unit depuis 2003 au guitariste Gibet. Sous le nom .CUT FEATURING GIBET, le duo, en toute discrétion, publie ainsi de la musique depuis plusieurs années, avec l'aide de labels aussi modestes qu' Obsolete Records et Walnut & Locust, apparaissant sur un nombre important de compilations plus ou moins confidentielles (pardon : spécialisées).
C'est avec l'aide du label Walnut & Locust, justement, que la formation a publié en avril 2008 le mini-CD Theories of Capitalism. La pièce réunit deux titres, "Hope" et "You are not safe anywhere", d'environ 7 minutes chacune. S'y donnent à attendre des nappes de sonorités emmêlées, post-rock bruitiste, musique dronique pour guitares et laptop, où flottent quelque voix lointaines, proche de Labradford ou des abstractions de Tarentel, le groove en moins.
Acoquiné à l'univers qui gravite autour de la Casa del popolo (restaurant et salle de spectacle tenu par Mauro, bassiste et fondateur de Godspeed You Black Emperor, le nouveau quartier général de la scène "post-rock" montréalaise, c'est à dire, tout au moins de façon symbolique : mondiale) et à divers acteurs-clefs de la scène locale (à commencer par Alexandre St Onge, membre de Shalabi Effect, Et Sans ou Feu Thérèse, et lui-même acolyte de Roger Tellier Craig, ex pivot du Fly Pan Am), le duo a su développer sa musique dans le sens d'une réflexion (sinon d'une contestation) sociale toute en évocation plutôt qu'en revendication. Laissant une part importante à l'imaginaire plutôt qu'au message (c'est à dire, déjà : aux sonorités abruptes et emmêlées plutôt qu'aux mélodies, à l'opposé extrême de toute démarche pop efficace aux hautes ambitions commerciales), il inscrit ainsi ses compositions, denses, complexes et non dénuées d'une certaine intensité, dans l'horizon de la recherche d'une façon alternative de vivre et de faire de la musique (ce qui pourrait bien être la même chose, comme l'ont toujours compris tous les pionniers de tous les mouvements musicaux). Un disque complexe, en somme, offrant un regard sur un monde qui ne l'est pas moins. En toute indépendance.
Être alternatif et underground, n'est-ce qu'un choix poseur ? Ou est-ce la condition sine qua non d'une indépendance réelle, artistique autant qu'existentielle ? N'est-ce pas la seule façon d'éviter de vendre son âme au diable capitaliste dont l'industrie musicale, ses formats et ses chiffres de ventes, n'est que l'un des incarnations les plus risibles ? A ce titre, le choix d'un format aussi inusité que celui du mini-CD 3 pouces pourrait d'ailleurs bien être autre chose que le fruit d'une fantaisie gratuite.
C'est dans cet horizon idéologique qu'il faut envisager Theories of capitalism, qui est geste autant qu'il est musique. Le geste de l'indépendance, de la création qui ne se préoccupe que d'elle-même, qui se nourrit de la réflexion sur ses propres conditions d'existence. Un geste accompli vers l'auditeur, qui n'a plus qu'à s'en saisir pour se demander, en un quart d'heure, ce qu'il pense de ce qu'il entend et du monde que l'on dépeint pour lui.
Cédric Chort - Froggy's Delight - Janvier 009
Nouvelle production pour .CUT FEATURING GIBET, première composée sur les terres québécoises, et comme de coutume, il s'agit d'un ep, avec cette fois-ci deux morceaux totalement inédits pour une durée d'un peu plus de 14mn, présenté dans un 3"cd, le nouveau format pour lequel a opté Alberick, tête pensante de .cut et du label alternatif WALNUT+LOCUST. .CUT FEATURING GIBET n'est en même temps pas un groupe comme les autres, mais plutôt une collaboration régulière entre Alberick et Gibet, née en 2003, Alberick collaborant avec bon nombre de personnes, cet ep étant suivi justementd'une collaboration avec le projet dark ambient MAGGOT BREEDER.
De toutes les collaborations de .cut, je trouve que ce projet est le meilleur et qu'il y a vraiment dans cette entité une force qui en émane. CUT FEATURING GIBET continue dans la lignée des précédentes productions et sur toutes les compositions de cette collaboration approfondie, rien n'est à jeter. Ces nouveaux morceaux poursuivent dans la direction prises par les précédents, avec toujours cette rencontre fortement réussie du post-rock et du dark ambient, rencontre non improbable puisque ce qu'on appelle initialement le post-rock (à partir de groupes comme Godspeed You Black Emperor) fait la part belle aux atmosphères planantes et aux longues compositions. Avec ces deux nouveaux morceaux, je trouve que l'aspect dark ambient prend encore plus d'impact. Walnut+Locust propose d'ailleurs des formations d'ambient qui le font à base de guitares. Dans cet ep, il n'y a pas vraiment d'envolées soniques, ces fameuses ascensions progressives jusqu'à un summum émotionnel, d'ailleurs il n'y en a jamais vraiment eu, .CUT FEATURING GIBET ne faisant pas dans le planant, mais restant dans quelque chose à la base d'angoissant.
L'intensité est permanente et certes s'accroît, mais il n'y a pas de montée, et le côté dark ambient ressort bien en cela. Il y a par contre un accroissement de l'intensité, on le sent bien avec ces deux morceaux: des sons évasifs, hypnotiques et froids plutôt que planant, et les morceaux s'enrichissent en sonorités, devenant plus chargé, plus saturé, plus bruyant, rappelant la démarche de l'indus/ambient. Sur ces deux morceaux, il y a peut-être un aspect ambient plus marqué que par le passé, plus noisy aussi, car les sons des guitares de Gibet deviennent de plus en plus ambient et donnent notamment plus dans le saturé atmosphérique, au lieu du tremolo habituel dominant, et c'est en cela plus proche d'un morceau comme "They're digging for oil, not looking for Franklin". Il y a également une plus grande présence de samples de "discours" qui enrichissent les morceaux et sont une part du style du duo. .CUT FEATURING GIBET affine donc son style non stéréotypé et délivre à nouveau une excellente production que les amateurs de musique froide, ambiante ou hypnotique, au sens large, devraient apprécier.
Adnauseam - 9/10
La Horde Noire - Octobre 2007
.cut : collaboration franco-canadienne, écartelée entre Montréal et Lyon, qui met ici au monde un énième petit CD 3", pourvu de quinze minutes de sons numériques, ambients, et on ne peut plus cinématographiques.
Theories Of Capitalism s'impose donc comme un dyptique au discours proche d'un Gospeed You ! Black Emperor, aux allures soniques d'un bon Merzbow, qui troque le silence contre un univers de grondements électroniques, de guitares au delay sans fin, entrecoupés de dialogues obscurs extraits de films qui n'existent pas encore.
On peut remercier l'Atlantique de permettre une distance d'origine suffisante des deux membres pour laisser au son le temps de se mouvoir, se transformer, d'aboutir à un bon cru post-rock et expérimental.
Un peu longue ou sans queue ni tête parfois, l'entreprise .cut est bonne et peut parler aux plus post des amateurs comme aux agités de l'instrumental mystérieux.
Palem - www.adrenalyn.net - Décembre 2008
Do you know the track "Sleep" with the sample of a nice old man talking about the old days of Coney island by Godspeed you black emperor? for some reason I could not help but think about this track, about this person, when I was listening to "Hope", bringing its own twisted version to the fellow Canadian group. With a different person talking in the beginning.
Not so nice like the one GSYB! Brought, and while the post rock band played their usual (and great) music afterwards, .cut, A.K.A Alberick, with the help of his long time collaborator Gibet, are arriving with a much darker arsenal of sounds, all brought by alberick's laptop and Gibet's guitar. Contrary to the title of the track there is very little hope in the first part of "Theories of capitalism". Is it a political statement? Is the hope of capitalism a false one? I don't know if I have got right into the mind of .cut or am I projecting my own feelings on such a powerful and demanding album title, but the thoughts are there anyway. This is a 3" after all, one of the numerous 3" releases that [Walnut + Locust], Alberick's label, has been releasing.
And this being a 3" means there is no time to bring hints and preludes. The tracks should be powerful and to the point. And they are. While another album by .cut, alongside Maggot breeder, "La voie sacree" – Is a long build-up of shapes and sounds, these two tracks, each clocking around 7 minutes, are much more focused. Not that the long and slow build-up of tracks is not a rewarding one, not at all, but .cut manages to do both in a convincing way.
"Hope" is a very emotional melancholic, even, passage of music that elevates the spoken word to a much higher meaning.
Over time, the track goes into a more powerful momentum, perhaps to let us discover its inner meaning. In addition, if my guess about the meaning of the title "Hope" is correct, the second track "You are not safe anywhere", is the answer. The secret about the theories .cut is talking about. Much deeper sounds with echoing guitar touches that seem to develop from the previous track and take a different direction. With more spoken words, this time about a shooting incident in a university. I could not figure out which one it was, but does it really matter? Remember, you are not safe anywhere. Not just in a certain place.
Athough short, Theories of capitalism is a dramatic and interesting work. Showing another side of Alberick's many faces.
Oren Ben Yosef - www.HeathenHarvest.com - Octobre 2008